- Qui es-tu, pour ainsi venir réclamer une place parmi nous ? siffla Caius en jetant un regard sévère à Aro, qui, comme à son habitude, affichait un enthousiasme désarmant. Toi dont on ne sait rien, pas même ton nom ! Qu'Aro lise tes pensées, voir si tu dis vrai !

La situation avait de quoi inquiéter les vampires les plus anxieux. Quand elle était arrivée à Volterra, quelques minutes auparavant, l'effet avait été immédiat. C'était un des très rares jours où une pluie fine tombait sur la cité, cachant le soleil et ses rayons révélateurs. Quand elle avait vu arriver ces deux grands hommes, avec leur capes noires et leur visages masqués sous de grandes capuches, elle n'avait pas vraiment eut peur. Ces deux gardes étaient de toutes manières ce qu'elle était venue chercher. Bien sûr, elle avait douté de la crédibilité de ses propos. Une histoire aussi rocambolesque était très peu crédible, surtout la partie concernant l'océan qu'elle avait traversé à la nage. Elle doutait alors que d'autres vampires en soient capables.

Et maintenant, elle était là, entourée de toute la garde, dont certains membres la toisaient d'un œil mauvais. Elle s'était bien sûr attendue à un tel accueil, elle, comme le disait Caius, dont on ne savait rien. Elle releva imperceptiblement la tête et attendit la suite des propos de l'ancien, mais Aro parla le premier.

- Belle enfant, dit-il, son sourire éclatant donnant à son visage une expression presque effrayante, possèdes-tu un don ? Fais-nous une démonstration, ajouta-t-il en désignant un grand brun du doigt. Démétri, mon garçon, viens ici.

Ledit Démétri n'avait pas l'air particulièrement enchanté de devoir participer à l'exercice, et les yeux furieux qu'il posa sur elle ne firent qu'accentuer l'idée. Le troisième ancien, Marcus, avait légèrement penchée la tête sur le côté et les regardaient d'un air intéressé, les yeux brillants. Une petite femme aux cheveux noirs lui tenait la main. Trois choses se produisirent alors simultanément. D'abord, Aro claqua des doigts, et aussitôt certains membres de la garde se détendirent, comme heureux de la tournure qu'allait prendre les évènements. Ensuite, Démétri chargea dans sa direction, les yeux toujours animés de la même fureur, et elle dut d'abord faire un pas de côté pour l'éviter. Aro avait perdu son sourire, comme si le fait qu'elle n'ait pas utiliser son don à la première occasion le désenchantait. Les traits décomposés par la mauvaise humeur, Caius indiqua à une grosse brute de venir se saisir d'elle. Mais la brute ne bougea pas, si ce n'est que ses traits prirent une expression horrifiée, qu'elle donna l'impression de se débattre avec l'air. Mais ses bras restaient le long de son corps, ses jambes bien plantées dans le sol.

- Bouge, Félix, répéta Caius avec tellement de hargne que sa voix résonnait encore dans la pièce quand, à côté de lui, Aro commença subitement à taper dans ses mains - et Caius changea radicalement d'expression. C'est toi qui lui fais ça, petite ?

- Fantastique ! cria Aro en redoublant d'ardeur dans son sourire et son claquage de mains - et il approcha alors si vite d'elle qu'elle ne s'en aperçut presque même pas. Comment t’appelles-tu, mon enfant ?

À côté d'eux, la brute se débattait toujours, mais plus personne ne semblait porter attention à elle. Aro la fixait de ses pupilles rouges, et, durant un très bref instant, l'expression de visage laissa supposer qu'il était réellement content d'avoir trouvé un nouveau vampire. Elle-même eut l'étrange sentiment d'être à sa place. Elle que les autres clans avaient toujours trouvée si bizarre, elle se sentait bien. Si elle avait put pleurer, sûrement l'aurait-elle fait. On l'assaillait de question, et, derrière le claquage de mains d'Aro, elle perçut un certain murmure d'approbation dans les rangs de la garde.

- Rebecca, répondit-elle. Vous voulez que je vous raconte un peu mon histoire ? demanda-t-elle, et Aro s'illumina, si c'était possible, encore plus. Bien... Je ne vois pas vraiment par où commencer...

- Commence par le commencement, railla Félix à côté d'elle, et elle fut soudain si furieuse que la bouche de ce-dernier se figea, prisonnière également de son pouvoir, lequel l'épuisait tout doucement.

- Eh bien..., fit-elle. Je suis née en Virginie courant 1789, je ne me rappelle pas vraiment la date exacte. Mon père était un soldat anglais et ma mère une canadienne française, elle est morte en couches quelques années seulement après ma naissance, je ne devais pas avoir plus de 4 ans. À ce moment-là, mon père a changé. Il est devenu… non pas froid, mais plutôt... trop. Il travaillait trop, et, les rares fois où il nous voyait, les autres et moi, il était trop chaleureux. C'était faux. Il était conseillé, quelque chose comme ça, pour un homme politique. Il avait envoyé mon frère aîné dans un pensionnat, il voulait qu'il devienne notaire. Quant à ma petite sœur, eh bien, je me souviens qu'elle était spéciale. Mon père ne l'aimait pas vraiment, moi non plus d'ailleurs, mais c'était tout de même ma sœur. Elle n'avait jamais connu notre mère, et, d'une certaine façon, je cherchais à la protéger. Et un jour elle est morte, en même temps que mon père, dans l'incendie de notre manoir. Je me souviens que dans un premier temps on m'avait crut morte. Mon frère, qui avait alors 21 ans, m'avait envoyée chez un ami à lui qu'il voulait que j'épouse.

Aro hocha lentement la tête. Il était visiblement le seul qui soit encore apte à bouger, bien qu'elle n'ait même pas fait usage de son pouvoir. D'ailleurs, jamais elle n'aurait été capable de maintenir un aussi grand nombre de personnes immobiles. Elle ferma les yeux, les souvenirs remontant tranquillement à son esprit. Il y avait si longtemps qu'elle s'efforçait d'oublier cette histoire que la raconter lui était pénible, sûrement aurait-elle dut en inventer une autre. Mais il était sûrement trop tard maintenant.

- J'étais donc orpheline, poursuivit-elle en rouvrant les yeux. Et fiancée. Il était bien impensable pour mon frère de me prendre en charge, il venait de se marier avec la fille d'un de ses collègues notaires. Elle s'appelait Madeleine, je ne sais pas si vous la connaissez. Donc, Madeleine était un vampire. Sûrement prévoyait-elle de tuer mon frère quand celui-ci aurait réalisé qu'elle ne lui donnerait pas d'enfants, je ne sais pas vraiment, je n'ai jamais bien compris. Quoi qu'il en soit, je n'aimais pas Madeleine. J'étais sûrement jalouse de sa beauté, du sourire qu'elle faisait naître sur le visage de mon frère, qui m'avait toujours ignorée. Sans cette haine qui me montait contre elle, je n'aurais jamais découvert son secret. Comme je vous l'ai déjà dit, je devais épouser l'ami de mon frère, avec lequel j'habitais déjà depuis la mort de mon père. Le reste de la ville voyait cette union d'un mauvais œil.

Toujours aucune réaction dans la garde. Elle s'efforça de ne pas porter attention à l'air captivé d'Aro, son regard l'intimidait encore plus que son claquage de mains compulsifs. Après tant d'années, cette histoire la blessait peut-être même plus qu'à l'époque. Penser à Madeleine la rendait malade, sa bouche était remplie de venin. Elle ferma les yeux un long moment avant de continuer.

- Un jour, j'ai provoquée Madeleine, plus que de raison. Je devais avoir 16 ans, oui, j'étais tout près de la ''mort''. Mon frère m'avait jeté hors de sa maison à grands cris. À l'époque des faits, il était très, disons, dérangé. Il avait épousé Madeleine depuis plus de deux ans, et ils n'avaient toujours pas d'enfants. Il avait une maîtresse, Penelope. Elle avait toujours été comme une sœur pour moi, et j’aurais tout donner pour que mon frère l'ait épousé elle. Mais non. Revenons-en à Madeleine... c'est ce soir là qu'elle a agit. Le trajet de la maison de mon frère à la mienne me prenait toujours environ une heure, à pieds comme en carrosse. Quand je suis arrivée… eh bien mon fiancé était mort. Je crois que le choc initial ne m'a pas fait trop de mal, mais la vue de Madeleine, penchée sur son corps, qui buvait le sang à même son poignet...

Sa voix s'étrangla dans sa gorge, et alors seulement elle réalisa qu'elle avait soif. Plongée dans son histoire, elle avait complètement oublié le temps qui passait. Pourtant, tous écoutaient. Elle conclut à un rituel pratique, sûrement quelque chose qui se déroulait à chaque fois qu'un nouveau membre était inclut dans la garde. Car c'était bien ce qu'elle voulait. Trouver refuge, fuir les autres. Mais elles la retrouveraient, assurément. Aro lui jeta un regard indulgent en croisant ses pupilles noircies par la soif.
- Ton fiancé était mort, donc ? l'incita-t-il à continuer, les mains toujours jointes.

- Oui. Désolée, s'excusa-t-elle. J'ai d'abord crut que Madeleine allait me tuer. Elle était couverte de sang, c'était horrible. Mais elle s'est contentée de me prendre la main, tout doucement, comme si elle m'avait incitée à aller me promener avec elle. Et elle a littéralement croquée dedans. J'ai sentit mes os craqués les uns après les autres, le sang se déverser sur le plancher. Je l'ai vu se faire violence pour ne pas le boire, pour me laisser souffrir, me laisser me transformer. Mon cœur s'affolait. Mais ai-je vraiment besoin de vous raconter le processus de transformation en détail ? C'est mon souvenir le plus vif, mais il est si douloureux... Dans les premières heures, Madeleine n'était pas à mes côtés. Je ne comprenais plus rien. Sûrement son union avec mon frère n'était-elle même pas consumée. Et à mon réveil, le premier visage que je vis ne fut pas celui de Madeleine, mais bien de... Penelope. Oui. J'étais dans un caveau. Dans un cercueil de pierre. Mais je n'hurlai pas. Ce n'est qu'ensuite que je vis Madeleine. Elle tenait le corps disloqué de mon frère dans ses mains, et du sang coulait encore de ses poignets.

- Continues, je t'en prie, lui intima Aro, et elle constata avec un certain malaise que tous la regardaient. Qu'est-il arrivé après la mort de ton frère ?

Elle lui raconta comment Madeleine s'était arrangée pour faire croire à leur mort à tous, empoisonnée par on ne sait qui. Penelope et elle étant des nouveau-nés, Madeleine les avait menacées de toutes sortes de choses horribles. Alors, elles avaient joué le jeu de la mort tragique. Aucun battement de cœur. Aucune respiration. Le corps idéal. Froid et dur. La petite sœur adorée, noyée dans la rivière avec sa chère belle-sœur Madeleine. Et les deux époux, les veines tailladées... Les choses furent simples et faciles. Le lendemain de ces filles funérailles, toutes trois étaient partie vers Boston, où elles s'étaient fait passer pour des sœurs. À sa connaissance, Madeleine ne possédait aucun pouvoir, si ce n'est celui d'être particulièrement rapide, plus encore que les deux autres. Mais son habileté était contrecarrée par la sienne, qui l'obligeait à rester immobile. Penelope était douce et calme, effacée. Elle était si attachée aux humains que, parfois, elle en ramenait à la maison. Des petites filles égarées qu'elle voulait protéger, mais que Madeleine tuait toujours avec un plaisir atroce. L'été précédent, soit en 1909, Penelope s'était rebellée, avec son aide, bien sûr. Elles avaient tenté de fuir, mais Madeleine les avaient retrouvées, les traquant depuis. Et un jour, Penelope avait disparue. Alors, elle avait quitté l'Amérique, traversant à la nage l'océan, vers Volterra, son dernier espoir.

- Fascinante épopée, commenta Aro quand elle baissa les yeux vers le carrelage, la gorge toujours aussi sèche, indiquant par le fait même qu'elle avait achevé son récit. Oh, ma belle petite, tu es la bienvenue parmi nous ! Ton nous sera utile, formidable, formidable ! Ha ! Ha ! Ha ! Attend juste une seconde, que je vérifie quelque chose, ajouta-t-il en prenant sa main, durant quelques secondes à peine. Fantastique ! Tu dis la vérité. Tu as peut-être omis certains détails intéressants, cependant... Oublie ton nom de famille. Hum... Voyons voir... Qui va s'occuper de toi ?